Planification du vol transatlantique

2
1853

Introduction

Le 21 mai 1927, Charles Lindbergh posait les roues de son célèbre avion monoplan Spirit of Saint-Louis sur la piste de l’aéroport parisien du Bourget en provenance de Long Island, près de New York. A l’issue d’une traversée de près 5808 km effectuée en 33 heures 30 minutes, il venait de réaliser le premier vol sans escale reliant l’Amérique à l’Europe. Près de 500 ans après les premiers périples des navigateurs pour traverser l’immense Océan Atlantique,  la France et les Etats Unis, pionniers de l’aviation, n’étaient plus qu’à quelques heures l’un de l’autre.

Si Lindbergh avait réalisé son exploit à bord d’un rustique monomoteur à piston, le développement du transport aérien et l’évolution technique des avions vont mener à une banalisation des vols transatlantiques, au point de se substituer aux navires au cours de la deuxième partie du XXème siècle. C’est alors que l’Océan Atlantique va devenir l’une des régions les plus survolées du globe avec moyenne en 2019 plus de 1500 avions la survolant quotidiennement.

De par l’augmentation du trafic et les spécificités techniques et opérationnelles, les autorités de l’aviation civile (OACI) ont été amenées à établir des procédures particulières de navigation dans cet espace aérien. En effet, la planification d’un tel vol diffère notablement de celle d’un vol aux instruments (IFR) classique. C’est ce que nous allons étudier dans ce tutorial.

Face à l’explosion du trafic transatlantique, le contrôle aérien s’est retrouvé face à une difficulté croissante pour assurer la séparation des avions tout en maintenant un niveau d’optimisation efficace ne pénalisant pas les avions outre mesure. La première étape notable fut l’instauration en 1965 d’un système de Tracks publié quotidiennement, c’est-à-dire des routes optimisées et imposées pour la traversée de l’Atlantique Nord. En 1977, l’instauration du MNPS (Minimum Navigation Performance Spécifications) viendra réduire les distances de séparations entre les aéronefs en contrepartie d’exigence plus élevées en matière d’équipements de navigation et de communication.

Les pilotes de lignes les plus exigeants préparent désormais leurs vols avec des programmes de planification évolués comme l’immanquable Simbrief ou le très complexe PFPX. De ceux-ci en découlent des dossiers de vols tels qu’ils existent dans les compagnies aériennes. Lors d’un vol transatlantique, un certain nombre d’éléments propres à ce type d’opérations sont inclus et calculés au plan de vol opérationnel (OFP). Dans ce tutoriel, nous allons tout d’abord dégrossir et expliquer les principes de l’espace aérien transatlantique puis illustrer cela par des exemples concrets de préparation de vol.

 

Structure de l’espace transatlantique Nord

NAT HLA (ex MNPS)

Avant 2016, l’espace aérien atlantique Nord était connu sous le nom de MNPS (Minimum Navigation Performance Specification). Dès lors, celui fut renommé en NAT HLA (Nort Atlantic High Level Airsapce), se divisant désormais en 6 espaces océaniques contrôlés, toujours du FL285 au FL420:

  • Reykavik
  • Gander
  • Shanwick
  • New York
  • Santa Maria
  • Bodo (nouvellement inclu)

Source: NAT Doc 007 V.2022-1

Comme nous pouvons le remarquer sur la carte en route High Altitude, il n’y a pas de points de cheminement ou de couloirs aériens publiés au delà des zones de survol terrestres. En effet, ce sont les coordonnées géographiques qui font offices de waypoints dont le choix est libre pour autant que l’on sélectionne au minimum un point tous les 10 degrés de longitude et tous les 5 degrés de latitude. Cette partie du plan de vol est dénommée Random Route, excepté lorsque que la route suit le système de Track publiés, ce que nous verrons dans le chapitre suivant.

Voyons l’exemple ci-dessous pour illustrer ceci:

Pour ce vol de Francfort (EDDF) à Toronto (CYYZ), nous avons la route suivante où la partie NAT HLA est surlignée:

OBOKA Z28 DIBIR DCT BUDIP DCT RAVLO Y70 OTBED L60 PENIL M144 BAGSO DCT REVNU DCT PIKIL DCT 5720N DCT 5830N DCT 5840N DCT 5750N DCT HOIST DCT FOXXE DCT SPOTE DCT MOFAT DCT LIDAG

A partir du point PIKIL, nous rentrons dans l‘espace de Shanwick Oceanic puis nous survolons 4 waypoints correspondant à leurs coordonnées géographiques:

Ex: 5720N > N57:00.0 W020:00.0

Après le point HOIST, nous quittons la FIR de Gander Oceanic où nous reprenons notre navigation dans l’espace aérien conventionnel.

 

OTS ou Organized Track System

L’autre grande spécificité et raisons d’être du NAT HLA, est le fameux système de Track, nommé officiellement OTS (Organized Track System). Pour des raisons commerciales, le flux du trafic transatlantique tend à être dans la même direction selon les heures de la journée. Ainsi, la majorité du trafic Est-Ouest se concentre entre 11h30 et 19h00 UTC, et entre 01h00 et 08h00 UTC dans le sens Ouest-Est.

Afin de faire face à cette densité d’avions volant quasiment tous dans la même direction, se pose alors la question pour l’ATC d’absorber cette masse de trafic en assurant la séparation de ceux-ci. Pour ce faire, il a été mis en place un système de Track où les distances de séparation verticales entre les avions sont réduites sous conditions.

Pour rappel, la majorité de l’espace aérien mondial répond aux règles RVSM (Reduced Vertical Separation Minimas) selon les règles suivantes:

Source: https://www.jasma.jp/rvsm/about-rvsm/

Dans les NAT (North Atlantic Track), les distances minimales de séparation sont réduites à 1000ft, permettant alors d’optimiser le trafic :

Source: www.sciencedirect.com

Chaque jour, les ingénieurs du trafic aérien de Gander et Shanwick publient des routes traversant l’espace NAT HLA optimisées pour tirer le meilleur parti des vents en altitude. Ceux-ci sont publiés par un document quotidien intitulé NAT Track Message spécifiant le TMI du jour (Track Message Information) ainsi que leurs niveaux de vol d’application:

En ce 19 Mars 2023, le TMI 078 (correspondant au jour de l’année) est en vigueur et se présente comme suit:

  • Les tracks A-B-C-D-E-F-G-H (en vert) représentent les tracks Westbound (Est > Ouest) en vigueur de 11h30 à 19h00 UTC pour les avions franchissant les 30 degrés ouest 1 heure avant ce créneau.
  • Les tracks S-T-U-V-W-X-Y-Z (en bleu) Eastbound (Ouest > Est) sont en vigueur entre 01h00 et 08h00 UTC, pour les avions franchissant les 30 degrés ouest 1 heure avant ce créneau.

Revenons à notre vol Francfort-Toronto. Nous empruntons aujourd’hui le Track C dont la route est la suivante:

PIKIL DCT 5720N DCT 5830N DCT 5840N DCT 5750N DCT HOIST

Les niveaux de vols possibles sont: FL340, FL350, FL360, FL370, FL380, FL390

Remarquons qu’en plus de pouvoir accepter plus de trafic, la réduction des tranches de niveaux de vol permet aux avions de voler plus près de leur altitude optimale grâce aux Step Climbs plus rapprochés, permettant ainsi d’économiser du carburant.

Remarque: l’utilisation des Tracks n’est pas obligatoire et il est tout à fait possible de planifier une route en dehors de ceux-ci. Dans ce cas, les règles de séparation RVSM “classiques” sont d’application.

Équipement et exigences

En contrepartie de ses caractéristiques et règles en matière de séparation, le survol de l’espace NAT HLA impose certaines exigences en matière de système de navigation. Ainsi, les appareils doivent répondre aux critères suivants:

  • PBN: RNP4 ou RNP10
  • Minimum 2 unités de navigations long range (INS, IRS ou GPS)
  • Approbation RVSM
  • ATC: CPDLC (Controller Pilot Datalink Communications) obligatoire du FL290 ou FL410 en dehors des zones couvertes par la VHF

De plus, le transporteur doit être approuvé par les autorités de l’aviation civile compétente, et l’équipage doit avoir reçu la formation adéquate.

Routes Blue Spruce 

Pour les avions ne répondant pas aux critères ci-dessus, la traversée de l’Atlantique Nord n’est pas exclue mais au prix de certaines restrictions.

Il y a soit l’option d’opérer en dehors de l’espace NAT HLA, c’est à dire en dessous du FL285 ou au-dessus FL420, mais ceci pose de problèmes évidents de performances et d’optimisation.

C’est pour ceci que des routes spécifiques ont été instaurées, certes moins directes, mais permettant tout de même de traverser l’Atlantique Nord a un niveau de vol plus optimal; il s’agit des routes Blue Spruce.

Remarque: dans la pratique, ces routes sont surtout utilisées par des avions traversant exceptionnellement l’océan par nécessité (convoyages, livraisons d’avions d’Amérique vers l’Europe et vice versa, etc…).

Exemples de planification

Un vol sur les Tracks

Sur ce vol de Paris Charles de Gaulle (LFPG) à Chicago O’Hare (KORD), le plan de vol opérationnel (OFP) préparé par le dispatch nous donne la route suivante:

Le STD de 1100 UTC implique un survol du NAT HLA pendant la mise en application des Tracks Westbound du jour (de 11h30 à 19h00 UTC).

Dans notre cas, nous avons planifié le Track F comme suit:

Avant de franchir le point RESNO, signifiant l’entrée dans l’espace NAT HLA, le contrôle aérien nous attribuera une clearance océanique nous confirmant notre route. Il est possible que celle-ci soit différente que celle planifiée dans le plan de vol, principalement pour des raisons de régulation du trafic.

Remarque: C’est également le moment où l’équipage vérifie l’état des systèmes (comme vu plus haut) requis pour pénétrer dans le NAT HLA. Dans la négative, soit l’ATC imposera un rerouting, soit nous fera faire demi-tour si le carburant nécessaire est trop important.

Random route

Lors de cette traversée de Halifax (CYHZ) à Londres Heathrow (EGLL), la route plus efficace se situe en dehors des Tracks publiés. Nous allons donc planifier un Random Routing dans le NAT HLA, entre les points ALLRY et MALOT:

Comme dans le premier cas, une claerance océanique est nécéssaire et nous sommes sujets à un eventuel rerouting.

Remarque: Il faut veiller lors de la planification à rester au moins 10 degrés au sud du Track F afin de ne pas se retrouver en conflit avec le trafic convergent des Tracks Westbounds si ceux-ci sont actifs.

Partiellement sur les Tracks

Pour illustrer ce cas de figure, nous avons un plan de vol de Curacao (TNCC) à Amsterdam Schipol (EHAM), avec un STD à 01h00 UTC, ce qui nous fera traverser le NAT HLA pendant la mise en œuvre des Tracks Eastbounds.

La route optimale est une Random Route mais rejoignant la fin du Track Z à partir du point 48N015W:

Il est possible de planifier une route partiellement sur un Track à condition de le rejoindre et/ou de le quitter si il s’agit d’un Track extérieur. Il est interdit de traverser un Track actif ou d’en rejoindre un à l’intérieur.

Exemples:

AUTORISE

NON-AUTORISE

Remarque: En dehors des heures d’activités des Tracks, ceux-ci, bien qu’apparaissant sur la carte, peuvent être ignorés et toute route devient alors une Random Route, même si l’on utilise les points publiés.

 

Pour creuser le NAT HLA

Voici les principales sources officielles pour approfondir le vol transatlantique:

Le NAT Doc 007, NORTH ATLANTIC OPERATIONS AND AIRSPACE MANUAL publié par l’OACI, le texte officiel définissant le NAT HLA

Skybrary, l’encyclopédie de l’aviation d’Eurocontrol

Le NAT messages publié, repris par la FAA américaine

SkyVector, carte en ligne affichant notamment les Tracks en vigueur

 

 

 

 

 

2 Commentaires